"Concerto a la memoire d'un ange" Eric-Emmanuel Schmitt

«Une rédemption rencontre une damnation»… Concerto à la mémoire d’un ange d’Éric-Emmanuel Schmitt

De tous les auteurs francophones au monde présentement, Éric-Emmanuel Schmitt est l’un des plus populaires et des plus traduits. Ayant à son actif nombres de romans, de recueils de nouvelles, d’essais, même de pièces de théâtres et d’opéra, ce grand écrivain franco-belge touche à de nombreux domaines artistiques qui nécessitent l’écriture, démontrant une grande polyvalence. Non seulement il est polyvalent, il est également infiniment imaginatif. Que ce soit un homme transformé en monstre sous prétexte artistique dans son roman «Lorsque j’étais un œuvre d’art» ou une uchronie où Adolf Hitler aurait été accepté à l’école des beaux-arts de Vienne dans «La Part de l’autre», Schmitt ne finit jamais de nous surprendre. Avec son nouveau recueil de nouvelles, Concerto à la mémoire d’un ange, il nous prouve encore une fois son génie littéraire.
Concerto à la mémoire d’un ange c’est quatre petites nouvelles toutes d’environ une cinquantaine de pages. Qu’ont-elles toutes en commun? Pour certains lecteurs, le seul fil conducteur c’est sainte Rita, la patronne des causes désespérés, qui est mentionné d’une manière banale ou importante dans chaque nouvelle. Dans « L’empoisonneuse » c’est la Sainte sur laquelle Gabriel a écrit, celle qui encourage Marie. Dans « Le retour » c’est une relique dans la bible de Dexter. Dans « Concerto à la mémoire d’un ange » c’est de cette Sainte qu’Axel fait des produits dérivés. Finalement, dans « Un amour à l’Élysée» Catherine vit ses derniers jours dans la Maison Rita, nommé ainsi en l’honneur de la Saint Rita.  Pourtant, il y a un autre point majeur en commun, soit que  tous ces gens ont une chance de rédemption, toutes ces personnes ont la possibilité de changer pour le meilleur. Par contre, ils ne la prendront pas tous, certains resteront les mêmes, comme Marie, d’autres changeront pour le pire comme Axel.
En premier lieu, il y a Marie. L’action de « L’empoisonneuse » se passe dans la petite ville de Saint-Sorlin. La date, il n’y en a pas, Schmitt se contente du strict minimum dans ses nouvelles et ne perd pas son temps sur des détails, mais on peut comprendre que l’action pourrait se passer de nos jours. Donc, ce village a été mis sur la carte suite aux accusations portées sur une de leur habitante, Marie Maurestier dite l’empoisonneuse qui aurait tué ses trois maris et son jeune amant. La dame vieillissante, mais finalement acquittée, tombe sous les charmes du nouveau prêtre, le jeune Gabriel, à qui elle confesse tous ses péchés et la vérité sur les morts qui lui collent à la peau. Car elle est bien coupable. Le beau prêtre encouragera Marie à révéler ses crimes, les faire sortir au grand jour et dire la vérité, mais juste avant le jour fatidique, Gabriel est envoyé au Vatican, et Marie qui perd la seule raison pour laquelle elle se serait confessée, décide de retourner à sa petite vie paisible et d’oublier ses péchés passés.
Ensuite, il y a Greg, ce matelot et travailleur exemplaire sur le cargo Grandvillevoguant sur le Pacifique, dont la famille réside à Vancouver, apprend, au milieu de l’océan par un télégramme, que sa fille est morte. Mais laquelle des quatre était-ce? Alors qu’il attend la réponse avec désespoir, il s’horrifie des conclusions qu’il fait, à savoir laquelle est morte, laquelle il préférerait voir morte, et réalise qu’il a rempli sont rôle de père d’une manière assez pathétique en n’étant jamais présent parce que satisfaire l’aspect monétaire semblait suffisant et parce qu’il avait une favorite parmi les quatre.
Aussi, il y a Chris, un jeune prodige musicien pour qui tout est compétition, qui  rencontre Axel dans un camp sur une île en Thaïlande, un jeune homme qui, contrairement à lui, vit sa musique, se l’approprie, y est sensible. Il est le contraire de Chris et donc Chris veut le battre. Seulement, en essayant de  gagner contre lui lors d’un triathlon, durant la partie de l’épreuve qui implique de la nage, Chris décide de ne pas aider Axel qui se noie devant ses yeux croyant que c’est une ruse de la part du garçon sensible. Vingt ans plus tard, on retrouve un Chris complètement changé, exemple de bonté, mais un Axel qui a finalement survécu à l’accident, mais qui est la quintessence d’un malfrat. Axel retrouvera Chris pour lui faire payer pour ses actions, et les deux s’entraineront dans la mort, par noyade, dans l’espoir de sauver l’autre.
Finalement, il y a Catherine, première dame de France qui, en lisant un article sur elle et son mari, réalise à quel point elle n’est plus la personne qu’elle était et qu’elle n’aime plus son mari, qu’elle le déteste même. Par contre, même après avoir avoué ces faits à Henri qui vient à la détester aussi, elle reste avec lui, pour le torturer, pour le punir. Jusqu’où cette haine refoulée les mènera-t-ils? Jusqu’à la mort de Catherine, d’un cancer.
Sommes-nous libres ou subissons-nous notre destin, voilà la question à se poser après la lecture de ce Concerto à la mémoire d’un ange, comme le mentionne Schmitt dans son carnet de lecture : « Ces histoires parcourent les chemins de l’existence en se demandant s’ils sont les sentiers de la liberté ou les routes du déterminisme. Sommes-nous libres? » (p.214). L’empoisonneuse devait-elle toujours vivre une vie monotone et garder la vérité cachée? Greg devait-il devenir un meilleur père pour ses filles? Chris et Axel qui avaient été comparés à Caïn et Abel étaientt-ils destinés à mourir? Catherine et Henri devaient-ils avoir un amour exemplaire à la fin? La lecture de ce livre laisse place à la réflexion, quelque chose que Schmitt recherche; il veut que l’imagination du lecteur soit stimulée et que nous trouvions certaines réponses nous-mêmes. À nous de savoir si le prêtre Gabriel aimait la vielle Marie, si Greg deviendra vraiment un meilleur père, si Chris et Axel s’aimaient au fond, et si Henri avait vraiment payé pour l’attentat de la rue Fourmillon. En un mot,  je crois qu’il y a une part des deux, que nous subissons notre destin mais pouvons également en être maître.
On blâme souvent les auteurs de nouvelles de prendre la route du plus facile parce que l’écriture est moins longue, pourtant comme on peut le voir avec ce livre, c’est un art où chaque mot compte pour quelque chose comme Schmitt mentionne dans son journal d’écriture : « Réduire un récit à l’essentiel, éviter les péripéties inutiles, ramener une description à une suggestion, dégraisser l’écriture, exclure toute complaisance d’auteur, cela prend du temps, cela exige des heures d’analyse et de critique. » (p. 220) Schmitt ne languit pas sur des détails, sur des époques, des temps, des descriptions inutiles, il va droit au but et on peut voir que chaque mot est compté. Il n’y a rien de trop dans l’œuvre. Elle se lit très facilement et rapidement, mais il y a énormément de contenu. Le niveau de langue est standard, pas soutenu ou familier, juste simple et facile à suivre. La narration est à la troisième personne du singulier. Cependant, cela ne rend pas le texte froid ou le narrateur complètement objectif, comme lorsqu’il parle de Marie et dit : « Coupable? Sa face sévère n’était pas assez vicieuse. Innocente? Son visage manquait de tendresse. Vendre son corps à des barbons? Non, il aurait fallu que ce corps fût désirable, désiré, ou – au moins – désirant. Aimer sincèrement ces maris décatis? On ne voyait pas d’amour en elle. » (p. 18, 19) Le narrateur aurait pu se satisfaire d’une description objective, mais avec les tournures de phrases et la manière dont ces faits sont amenés, on sent un jugement du narrateur.
Une chose que j’ai particulièrement apprécié de ce livre, c’est le Journal tenu par Éric-Emmanuel Schmitt durant l’écriture du livre présenté à la fin. Il nous donne un bel aperçu de ses réflexions lors du processus d’écriture, qui nous permettent plus de réflexions de notre côté. J’aime bien le moment où il parle du personnage de Marie et se demande comment les auteurs de romans noirs arrivent à avoir une vie normale si leur personnages s’emparent d’eux comme l’empoisonneuse s’empare de lui et le fait rêver de plans diaboliques: « Comment les auteurs de romans noirs arrivent-ils à mener une vie normale? Je crains pour mes proches… Depuis quelques jours, je deviens aussi vicieux que ma tueuse, je ne manifeste plus aucune charité, je tue les gens avec mes réflexions, j’en jubile » (p. 213)
Pour conclure, avec ce nouveau recueil de nouvelles, Éric-Emmanuel Schmitt nous démontre à nouveau avec quelle habilité il maîtrise sont art et nous offre une belle réflexion: la possibilité de rédemption qui n’est peut être pas toujours une cause désespérée.
Éric-Emmanuel Schmitt, Concerto à la mémoire d’un ange, Paris, Albin Michel, 2010, 229 p.

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